UNE SAGE DÉCISION

UNE SAGE DÉCISION

Publié dans La Presse, le 04 mars 2013 :

Walmart vend des produits d’épicerie, mais, au sens de la loi, cette entreprise n’est pas une épicerie pour autant. Et c’est entre autres pour cette raison que la Régie des alcools, des courses et des jeux a refusé d’accorder un permis d’alcool aux deux nouveaux supercentres Walmart qui vont ouvrir leurs portes à Laval et Mascouche.

Il s’agit là d’une sage décision de la part de la Régie, considérant que Walmart essayait de faire indirectement ce que la loi ne lui permet pas de faire directement. Et même si cette tentative de Walmart avait respecté la lettre de la loi, elle aurait contrevenu à l’esprit de cette même loi qui veut que seules les épiceries définies comme telles peuvent obtenir un permis pour vendre de la bière et du vin. Pour être reconnu comme une épicerie, au moins 51% des produits en étalage dans un commerce doivent être des denrées alimentaires. Ce n’est évidemment pas le cas chez Walmart.

Il faut dire que Walmart avait élaboré un stratagème audacieux pour contourner la loi. L’entreprise essayait de faire croire qu’un espace restreint appelé La Réserve, à l’entrée du magasin, devrait être considéré comme un dépanneur dans un local séparé, puisque les produits en étalage dans ce même local dépassaient le 51 % exigé. Les régisseurs de la Régie n’ont pas été dupes. Si elle avait accédé à cette demande, il est évident qu’un tel précédent aurait fait en sorte que n’importe qui aurait pu, à l’avenir, exiger d’être reconnu comme dépanneur et obtenir un permis de vente d’alcool.

Par exemple, une quincaillerie Rona n’aurait eu qu’à transformer en dépanneur une partie de la devanture d’un magasin et dire à la Régie: Ah! ah!, moi aussi je peux maintenant vendre de la bière et du vin…

L’attribution des permis d’alcool en épicerie a toujours été restrictive. Longtemps, le but a été de protéger les épiciers indépendants contre les magasins corporatifs dominés à une autre époque par les Steinberg et Dominion de ce monde. Il fallait que l’épicerie soit la propriété d’un indépendant et non d’une grande corporation pour recevoir un permis d’alcool. C’était un peu démagogique étant donné qu’à l’époque, les chaînes dites indépendantes avaient elles-mêmes de plus en plus de magasins corporatifs. L’argument massue des indépendants voulait que si Steinberg et Dominion obtenaient le droit de vendre bière et vin, ce serait la fin des indépendants. C’est pourtant le contraire qui est arrivé.

Vers le milieu des années 80, Steinberg avait élaboré un stratagème légal qui lui a finalement permis d’obtenir des permis d’alcool au même titre que les Metro, Provigo et IGA. Steinberg avait tout simplement acheté un petit dépanneur de Boucherville, l’avait fusionné et avait ainsi été en mesure de transférer à ses propres magasins le droit de vendre de la bière et du vin. La Régie ne pouvait rien y faire.

La situation avec Walmart, aujourd’hui, est tout à fait différente. À l’époque, on empêchait Steinberg et Dominion de vendre de l’alcool sur la base que les magasins en question n’appartenaient pas à des indépendants. Dans le cas de Walmart, l’argument est d’une logique implacable : l’entreprise ne rencontre pas la définition légale d’une épicerie parce que l’alimentation ne représente pas 51% de ses produits. Il s’agit là de quelque chose de mesurable qui élimine des décisions subjectives.

Je lève mon chapeau à la Régie pour sa décision qui ferme la porte à des abus d’interprétation.

Publié par Gaétan Frigon