LA PERCÉE AMÉRICAINE S’EFFRITE
LA PERCÉE AMÉRICAINE S’EFFRITE
Publié dans La Presse +, le 27 avril 2015
Je dis souvent que le commerce de détail est un éternel recommencement, que les gagnants d’hier sont la plupart du temps les perdants d’aujourd’hui. Cette réalité bien concrète est une fois de plus confirmée par les nouveaux défis auxquels le commerce de détail est confronté aujourd’hui.
À part bien sûr les magasins « 5-10-15 cents » originaux, tels les Woolworth et les Kresge du siècle dernier, le commerce de détail, jusqu’à la signature du traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, avait été une chasse gardée patriotique tant au Canada qu’aux États-Unis. Au Canada, tous les grands détaillants comme Eaton, Simpson’s, Morgan, Dupuis, etc. étaient de propriété canadienne.
Quant à eux, les Américains n’avaient que faire du commerce de détail au nord de leur frontière, préférant contrôler les grandes entreprises manufacturières canadiennes, plus profitables. On peut même dire que ce sont des Canadiens qui, les premiers, ont essayé d’envahir le commerce de détail aux États-Unis et non l’inverse.
LE CAS CAMPEAU
Robert Campeau, d’Ottawa, fut le premier à traverser la frontière en achetant à la fois Allied Stores et Federated Department Stores, soit plus de 250 grands magasins. Ces deux entreprises incluaient les joyaux du commerce de détail aux États-Unis, dont Bloomingdale’s à New York. Beaucoup trop endettée, la Corporation Campeau dut se résigner à vendre ses actifs aux frères Reichman, Canadiens eux aussi, lesquels durent déclarer faillite peu de temps après.
Les Américains digérèrent mal cette incursion mal planifiée, mal financée et mal réalisée par des étrangers sur leur territoire. D’ailleurs, les grands quotidiens américains eurent à l’époque des mots très durs envers cet énergumène canadien qu’était Robert Campeau. Pourtant, ce dernier avait seulement fait ce que les Américains faisaient avec succès de façon régulière. Il avait cependant oublié qu’il n’avait pas les reins aussi solides ; son aventure était vouée à l’échec.
Les Américains allaient prendre leur revanche peu de temps après, profitant des ouvertures créées par le traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Et c’est là que tout a déboulé. Tout d’abord, Walmart achète Woolco en 1994, et après un début difficile où l’adaptation n’a pas été évidente, Walmart a réussi à conquérir le marché canadien au point de devenir le plus important détaillant du pays, détaillant qui remporte un succès inespéré même avec une formule contestée et contestable.
VAGUE AMÉRICAINE
Par la suite, une vague américaine a frappé le Canada avec l’arrivée de Club Price (aujourd’hui Costco), de Home Depot et de nombreuses autres enseignes. Et ce sont des détaillants canadiens qui en ont évidemment payé le prix, ces derniers n’étant pas toujours prêts à affronter des joueurs la plupart du temps 10 fois plus gros qu’eux. Les dernières cinq années ont fait beaucoup de victimes parmi les chaînes canadiennes pourtant bien établies depuis des décennies.
Mais il me semble qu’aujourd’hui les Américains sont devenus trop sûrs d’eux-mêmes et commettent des erreurs de débutants.
Au lieu de s’adapter au marché canadien comme Walmart l’a fait à ses débuts, ils ont essayé de calquer leur aventure canadienne sur leur modèle américain, sans faire les changements nécessaires. Et, tout à coup, leur percée s’effrite.
Dans la dernière année seulement, on a vu Mexx fermer ses portes. Puis ce fut au tour de Target, dont les erreurs d’enfants d’école deviendront des études de cas dans plusieurs universités tant canadiennes qu’américaines. Aujourd’hui, c’est Best Buy qui, après avoir acheté Future Shop au début des années 2000, ferme ces succursales ou les convertit. La raison, cette fois ? Future Shop ne s’est pas adapté assez rapidement à la concurrence du commerce en ligne.
Et ça, en 2015, c’est grave.