UNE ÉCOLE D’ENTREPRENEURIAT 101
UNE ÉCOLE D’ENTREPRENEURIAT 101
Publié dans La Presse, le 14 mai 2015
Malgré des cotes d’écoute à la baisse en cette quatrième saison, il ne fait aucun doute que l’émission Dans l’oeil du dragon, présentée à Radio-Canada, est devenue une école d’entrepreneuriat 101 au Québec, une école qui permet de comprendre ce qu’il faut faire et ne pas faire pour réussir en tant qu’entrepreneur.
Le concept de cette émission a tout d’abord fait son apparition en 2001 au Japon sous le nom de Money Tigers. L’émission a par la suite connu une grande popularité en Grande-Bretagne sous l’appellation Dragon’s Den avant d’atterrir il y a 10 ans à CBC, où le succès fut instantané. Les dragons de cette émission, dont Kevin O’Leary et Arlene Dickinson, sont vite devenus des stars à l’échelle du pays.
Sony Pictures, qui en possède les droits mondiaux, a multiplié les ententes partout sur la planète. L’émission se retrouve aujourd’hui dans plus de 20 pays, dont les États-Unis, où elle s’appelle Shark Tank. Le concept de base est le même partout et les producteurs locaux ne peuvent en altérer la formule. Les participants sont choisis par le producteur sans intervention des dragons. Ces derniers n’ont aucune idée des présentations qui leur seront faites et c’est ce qui contribue en grande partie au succès de l’émission.
DES ATTENTES PARFOIS IRRÉALISTES
J’ai participé à l’émission Dans l’oeil du dragon pendant trois années, en compagnie notamment de François Lambert, qui a quitté l’émission en même temps que moi, et je retiens surtout l’aspect créatif des entrepreneurs québécois, même si, dans bien des cas, leur plan d’affaires ne tient pas la route.
Pour plusieurs, avoir une offre d’un dragon est l’équivalent de gagner à la loterie. Ils ne réalisent pas qu’il s’agit d’un investissement potentiel et non d’un cadeau, et qu’ils doivent, lors d’une vérification diligente, ouvrir leurs livres et démontrer la véracité de leurs dires.
Parmi les faits cocasses, je retiens particulièrement cette offre de 40 000 $ pour 30 % des actions que j’ai faite conjointement avec Danièle Henkel à un entrepreneur du Saguenay. La première question qu’il nous a posée a été : « Avez-vous mon chèque ? » Quand nous lui avons répondu que nous devions tout d’abord visiter ses installations et vérifier ses états financiers, il était presque insulté. Pour lui, cela ne nous concernait pas. D’ailleurs, après trois rencontres, nous ne connaissions toujours pas son chiffre d’affaires, que nous estimions à moins de 20 000 $ par année. Quant à ses états financiers, il avait quelques chiffres griffonnés sur un bout de papier, le reste étant dans sa tête. Nul besoin de dire que cet investissement ne s’est jamais réalisé.
Il y a aussi ces entrepreneurs qui viennent à l’émission pour la publicité qu’ils en retirent, pour leur moment de gloire. Mais c’est l’exception, car dans l’ensemble, il s’agit d’entrepreneurs sérieux qui veulent vraiment apprendre et qui gagnent beaucoup de leur présence à l’émission. Et je leur lève mon chapeau, car il n’est pas facile de venir présenter un projet devant cinq dragons qui, souvent, les attendent avec une brique et un fanal. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs la larme à l’oeil lorsqu’ils réalisent que leur rêve ne se réalisera pas parce que leur projet n’est pas au point.
Je garde un excellent souvenir de mon expérience comme dragon, laquelle m’a fait réaliser que l’entrepreneuriat est bien vivant au Québec. À preuve, les centaines de demandes de financement que j’ai reçues en dehors de l’émission et que j’ai dû refuser.
Il ne faudrait pas que la loi intraitable des cotes d’écoute ait éventuellement raison d’une émission comme celle de Dans l’oeil du dragon. Ce serait dommage, car il est important de continuer à encourager l’entrepreneuriat au Québec, ce que cette émission fait avec brio.