DES VIRAGES À L’OPPOSÉ

DES VIRAGES À L’OPPOSÉ

Publié dans La Presse, le 27 octobre 2014

Rarement aura-t-on vu deux entreprises se faire une compétition aussi intense que celle entre Québecor et Transcontinental (TC) au niveau des circulaires imprimées, du début des années 80 jusqu’à tout récemment. J’en sais quelque chose, pour avoir été client de ces deux entreprises lorsque je travaillais en alimentation. Aussi, rarement aura-t-on vu deux compétiteurs prendre un virage aussi à l’opposé l’un de l’autre que ceux pris par ces deux mêmes entreprises depuis que s’est amorcée la décroissance de l’imprimerie devant la montée de l’internet.

D’une part, à l’exception du Journal de Montréal et du Journal de Québec qui ont subi une cure minceur assurant leur rentabilité à long terme, Québecor n’est pratiquement plus présente dans le monde de l’imprimerie. Son virage en ligne a débuté alors que l’internet en était encore à ses balbutiements avec des investissements majeurs dans des entreprises comme Nurun et Canoé.

Aujourd’hui, c’est TVA et Vidéotron qui représentent ses principaux moteurs de développement, car Imprimerie Québecor est disparue du paysage. On retrouve Québecor autant en téléphonie traditionnelle qu’en téléphonie cellulaire, autant en internet qu’en télévision, autant dans la production télévisuelle que dans les spectacles. Le virage entrepris par cette entreprise s’est même accentué au cours des dernières années avec la vente de ses hebdos régionaux et celle de ses quotidiens anglophones.

En fait, Québecor couvre aujourd’hui au Québec les mêmes créneaux que ceux desservis par Bell, ce qui, en soi, est tout un exploit. Il faut reconnaitre cependant qu’il s’agit de créneaux nécessitant des investissements majeurs, notamment pour le cellulaire. Mais le potentiel de profits est illimité.

Le quasi-monopole de l’imprimerie

D’autre part, la stratégie adoptée par TC est totalement à l’opposé. Elle semble être de rester dans le domaine de l’imprimerie jusqu’à ce que tous les autres acteurs aient soit jeté l’éponge, soit vendus à TC… C’est une stratégie qui semble basée sur une volonté exprimée d’être le dernier joueur en liste, ce que l’expression anglaise « to be the last man standing » exprime bien.

Il s’agit d’une stratégie payante à court terme, mais qui peut devenir un boulet à plus long terme si la décroissance de l’imprimerie s’accentue à un rythme plus rapide que ce qui a été anticipé. Et c’est ce qui peut arriver si les grands annonceurs décident d’aller vers des circulaires strictement électroniques, avec un concept de type La Presse+ dans un avenir assez rapproché. Les hebdos régionaux vont cependant continuer à être présents pendant un bon moment, considérant leur gratuité et leur implication locale.

Il semble évident que TC compte sur une fenêtre d’opportunité d’au moins 6 à 8 ans avant que les circulaires imprimées ne rendent l’âme et que ses stratégies en ligne aient vraiment pris la relève. Ce n’est pas évident de ce côté, considérant que, Web Local, la première incursion de TC dans le monde en ligne, ne semble pas avoir rapporté les résultats escomptés. Ce qui est certain, c’est que TC devra accentuer son virage en ligne et rattraper son retard à la vitesse grand V.

Mais, entretemps, TC peut engranger de solides profits en maximisant les revenus de son secteur imprimeries, ce qu’il fait d’ailleurs avec brio. Le quasi-monopole qu’elle détient maintenant, tant dans les hebdos régionaux que dans les circulaires imprimées, lui permet d’éviter les guerres de prix qui ont longtemps été la norme lorsqu’elle devait partager la tarte avec Québecor.

Seul l’avenir dira laquelle de ces deux entreprises aura pris le virage le plus conséquent et le plus bénéfique à long terme.

Publié par Gaétan Frigon