LA MÉTHODE BARRETTE
LA MÉTHODE BARRETTE
Publié dans La Presse+, le 8 juin 2015
Si je me devais de trouver le meilleur négociateur possible pour mener à terme un projet avec une obligation de résultat, je n’hésiterais pas à faire appel au docteur Gaétan Barrette. De toute évidence, ce dernier est devenu maître lorsque vient le temps de démontrer qu’il n’est pas du genre à reculer, qu’il n’a peur de personne et, surtout, qu’il ne sera pas le premier à cligner des yeux, quelle que soit la situation.
Le Dr Barrette a cette rare capacité de convaincre celui qui lui tient tête que, ce faisant, il a beaucoup plus à perdre qu’à gagner.
Commençons d’abord avec son mandat comme président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Au dire même de ses confrères spécialistes, le Dr Barrette leur a obtenu des augmentations de salaire inespérées, sans qu’ils aient à mieux performer ou à changer quoi que ce soit dans leurs méthodes de travail.
Je me souviens très bien d’ailleurs d’une discussion que j’ai eue l’an dernier avec deux spécialistes. Sourire en coin, ils m’ont avoué qu’ils auraient été prêts à travailler plus fort pour justifier les augmentations substantielles qui leur étaient accordées, mais que rien dans l’entente ne les y obligeait. Quant au gouvernement, il avait accepté d’accorder les augmentations en question, sachant que le Dr Barrette ne reculerait pas.
Maintenant que Gaétan Barrette est ministre de la Santé, il n’a aucunement changé ses méthodes, si ce n’est qu’il les met maintenant au service du gouvernement plutôt qu’au service des médecins spécialistes. Fort probablement au grand désespoir de ces derniers. Et déjà, les résultats sont probants.
PEU ORTHODOXE, MAIS EFFICACE
Gaétan Barrette a tout d’abord obligé les médecins spécialistes à accepter un étalement des augmentations qui leur avaient été accordées à la suite d’une négociation serrée menée par… lui-même. Ces derniers ont été contraints d’accepter sachant que leur ancien président ne lâcherait pas prise.
Puis, malgré de nombreuses oppositions, ce fut l’adoption du projet de loi 10, qui entre autres abolissait les Agences régionales de la santé. Et peu après, ce fut l’adoption sous bâillon du projet de loi 28, lequel baissait de près de 100 000 $ en moyenne les montants payés à chaque pharmacie. Ce projet de loi a évidemment eu comme conséquence de démontrer aux médecins que M. Barrette ne lésine pas quand il s’agit de prendre des mesures impopulaires. Finalement, le projet de loi 20, un projet de loi dur, change fondamentalement les façons de faire avec ses quotas.
Convaincus qu’ils n’avaient plus rien à gagner, les médecins omnipraticiens ont accepté une entente au terme de laquelle ils acceptent de faire volontairement ce que le projet de loi 20 les aurait obligés à faire.
Et cette fois, il y a obligation de résultat avant le 31 décembre 2017, sinon la loi 20 s’appliquera. Et, comme par hasard, les médecins, pharmaciens et infirmières viennent de conclure une entente de collaboration, une première en santé.
Si elle est peu orthodoxe, la « méthode Barrette » a au moins le mérite de changer les choses en obligeant les intervenants à accepter des changements longtemps refusés. Qu’on soit pour ou contre, il faut admettre que cette méthode fonctionne. Le Dr Barrette et ses grosses bottes sont en train de démontrer qu’il est possible de changer le fondement même de notre système de santé et de mettre au pas les différents lobbies qui obligent la plupart du temps toutes les parties concernées à tourner en rond.
Philippe Couillard a pris un risque calculé en nommant Gaétan Barrette à la Santé. Il semble cependant que ce risque porte ses fruits, car peu de gens pensent sortir gagnants d’une confrontation avec lui. Quoi qu’on en dise, la méthode Barrette fonctionne.