MÉTRO : D’HIER À AUJOURD’HUI
MÉTRO : D’HIER À AUJOURD’HUI
Quand Jean Drapeau annonça son intention de construire un métro à Montréal, les épiciers LaSalle du temps décidèrent de changer leur nom et de s’appeler dorénavant les Épiciers Métro. Ce n’était peut-être pas très original comme décision mais cela marqua le début d’une nouvelle ère dans l’alimentation au Québec, ère qui se continue de plus belle encore aujourd’hui. Ces épiciers, pour la plupart spécialistes en viandes, étaient tous obligatoirement actionnaires de leur propre centre de distribution. Très indépendants et jaloux de leur autonomie, Métro avait la réputation de recruter les meilleurs épiciers du Québec. L’entreprise n’avait pas de PDG comme tel et le conseil d’administration, composé exclusivement d’épiciers membres, contrôlait tout et se réunissait parfois jusqu’à trois fois par semaine. À la fin de chaque exercice financier, la totalité des profits étaient remise aux épiciers avec la conséquence que l’entreprise n’avait pas de capital propre. Mais grâce à des épiciers visionnaires comme Jean-Claude Messier, l’entreprise était bien positionnée et fusionna avec les Épiciers Richelieu en 1976. Métro-Richelieu était née. Ces deux entreprises n’en étaient pas à leur première union. Elles avaient créé Bœuf Mérite au début des années 70 pour contrôler leur approvisionnement en viandes. D’ailleurs, le nom Mérite vient des premières lettres de MÉtro et de RIchelieu.
Si les épiciers représentaient la grande force de Métro-Richelieu, son manque de capital et la superficie des magasins constituaient ses plus grandes faiblesses. Lorsque je me suis joint à cette entreprise en 1978, la superficie moyenne d’une épicerie Métro ou Richelieu était de 4 à 5 fois plus petite que celle d’un supermarché-type comme Steinberg. Alors que les grandes chaînes avaient atteint leur vitesse de croisière, Métro-Richelieu, pour passer au travers et survivre à long terme, se devait d’innover dans tout ce qu’elle faisait. L’entreprise n’était dans les faits rien d’autre qu’une équipe des lignes mineures qui devait jouer avec les grands dans les lignes majeures. Provigo faisait déjà partie de ces grands grâce à un regroupement majeur effectué plusieurs années auparavant. Malgré une croissance continue, Métro-Richelieu savait très bien qu’elle se devait d’effectuer des changements importants dans sa structure et dans ses modes d’opération pour se tailler une place à long terme dans l’échiquier alimentaire. Mais de tels changements étaient loin d’être évidents dans un contexte coopératif basé sur la formule ‘’un homme un vote’’. Tout changement impliquait nécessairement une perte d’autonomie tant au niveau individuel qu’au niveau collectif. Les décisions à prendre étaient très émotives et impliquaient autant l’orgueil que le portefeuille.
Le premier geste fut posé en 1980 avec l’embauche de Jean-René Halde, le premier PDG de l’entreprise. L’équipe de direction mise en place prit lentement mais sûrement la place qui lui revenait et le conseil d’administration se résolu à se réunir seulement une fois par mois pour, très souvent, ne faire qu’approuver les décisions prises par des gestionnaires qui n’étaient pas des épiciers. L’acceptation n’était pas facile mais les épiciers se rendaient bien compte qu’ils n’avaient pas le choix parce qu’il y a une différence fondamentale entre gérer une épicerie et gérer des centres de distribution. Le deuxième geste, plus difficile que le premier, vint quelques années plus tard lorsque l’entreprise décida d’aller sur la bourse. Il s’agissait en fait de trouver le juste milieu entre le désir de demeurer autonome et le besoin de capital venant de l’extérieur de l’entreprise. Ce geste marqua toutefois le début d’un affrontement philosophique qui a laissé des séquelles mais qui a permis au Groupe Métro de devenir ce qu’il est aujourd’hui.
Mis à part une période noire vers la fin des années 80 lorsque Métro se lança dans une phase de diversification trop rapide et pas assez planifiée (Super Carnaval, André Lalonde Sports, Pharmacies Cloutier, les Nordiques de Québec, etc..), l’entreprise a toujours été en mesure de compter à la fois sur les meilleurs épiciers et sur des gestionnaires chevronnés pour maintenir son allure et damer le pion à ses compétiteurs. Il est vrai que le juste équilibre entre les deux n’a jamais été facile car c’est dans la nature même d’une entreprise issue d’une philosophie coopérative de résister au changement. Le pouvoir aujourd’hui est beaucoup plus entre les mains des gestionnaires et des investisseurs qu’entre les mains des épiciers. Et ce n’est pas une mauvaise chose en soi car les épiciers seuls n’auraient jamais été en mesure d’amener Métro là où il est rendu. Pas plus que le Groupe Métro n’aurait été en mesure d’en arriver où il est aujourd’hui sans la qualité des épiciers qui représentent toujours sa plus grande force. Ces derniers ont peut-être soufferts dans leur orgueil mais certes pas dans leur portefeuille.
Outre Rona, très peu d’entreprises coopératives québécoises ont réussi ce que Métro a réussi. Il y a moins de 30 ans, l’entreprise était refermée sur elle-même et tenait mordicus à garder son autonomie face a des forces extérieures bien mieux structurées. Aujourd’hui, Steinberg a disparu, les IGA sont sous la férule de Sobey’s des Maritimes et Provigo fait partie de l’empire Loblaws de l’Ontario. Le Groupe Métro, quant à lui, grâce à des acquisitions comme Super Carnaval, Steinberg (en partie), Loeb, Dominion et A&P, est maintenant la troisième plus importante entreprise de distribution alimentaire au pays et la seule dont le siège social est demeuré au Québec. Il manque encore l’Ouest du pays pour que Métro rayonne à travers le pays mais ça ne devrait pas tarder. Comme quoi des épiciers indépendants convaincus possédant des épiceries minuscules mais connaissant leur métier peuvent faire la barbe aux plus grands de ce monde lorsqu’ils décident, par choix ou par obligation, de s’adjoindre des gestionnaires chevronnés. Certains épiciers questionnent encore aujourd’hui la direction que leur entreprise a prise au cours des années mais ils ne peuvent certes pas dénigrer les résultats, tant pour eux que pour la collectivité.