QUI PERD GAGNE
QUI PERD GAGNE
Publié dans La Presse, le 25 mars 2013 :
La saga de l’achat d’Astral par Bell aura fait couler beaucoup d’encre jusqu’ici. Et ce n’est pas terminé. Mais au bout du compte, on peut dire que Bell, après avoir perdu la première manche devant le CRTC, gagnera fort probablement son pari. Le tout aura finalement été un jeu de qui perd gagne.
De toute évidence, Bell savait depuis le tout début qu’elle devrait se désister de plusieurs stations, tant au Québec qu’au Canada anglais. Cependant, Bell pensait que c’est le CRTC qui lui dirait lesquelles revendre. Erreur. Le CRTC avait simplement mais fermement refusé la transaction.
Dans un premier temps, il faut dire que Bell avait très mal joué ses cartes devant le CRTC en étant mal préparé et en laissant ses concurrents (Québecor, Cogeco et Telus) lui donner une leçon de relations publiques. C’est alors que le CRTC aura eu le dernier mot en renvoyant Bell faire ses devoirs et, pour ainsi dire, en changeant les règles du jeu. Ou plutôt, en établissant de nouvelles règles pour le futur.
Dans un deuxième temps, Bell s’est vite relevée et a changé de tactique. Officiellement, ce n’est plus Bell qui achète Astral, mais Astral qui vend à Bell et à Corus. Bell et Astral se sont tout d’abord assurées de faire entériner leur nouvelle offre d’achat par le Bureau de la concurrence, tout en respectant ce qui semble être les nouvelles normes édictées par le CRTC. Au niveau du calcul des parts de marché, Québecor demeurera encore le numéro 1 au Québec. Difficile de se plaindre dans ce contexte.
Cela rend beaucoup plus difficile un éventuel nouveau refus du CRTC, tout en détruisant à la source même les arguments de ses concurrents, qui peuvent difficilement jouer à nouveau sur les mêmes thèmes qui les ont bien servis à ce jour. Tout au plus, le CRTC devrait imposer certaines conditions mineures que Bell pourra rencontrer sans trop de difficultés. C’est ce qui, à mon avis, risque d’arriver.
Ce qui est maintenant évident, c’est que cette saga aura laissé des traces. Bell demeure le Goliath face à plusieurs David et n’hésitera certes pas à chercher à se venger des attaques souvent pernicieuses qu’elle a subies de la part de ses concurrents. Et Bell peut se le permettre, étant assise sur une encaisse de plusieurs milliards de dollars. Sur une base strictement financière, Bell est en position de force.
Déjà, Bell est en mode attaque. De grands édifices d’habitation câblés par Vidéotron ou par Cogeco ont reçu dernièrement la visite de Bell qui leur offre de changer pour Fibe à un prix dérisoire à court terme. Bell n’a rien à perdre avec une telle offre, car il s’agit d’un gain net pour elle, et il est difficile pour Vidéotron ou Cogeco de concurrencer ces prix, considérant qu’il s’agit d’une perte sèche pour eux.
Dans cette guerre de géants, il semble que les coups bas soient permis. Bell n’a évidemment pas digéré que Vidéotron lui enlève plus de 1 million d’abonnés à la téléphonie résidentielle depuis la déréglementation, pas plus qu’elle n’a digéré la campagne de Québecor contre l’achat d’Astral. Il y a de fortes chances que les couteaux volent bas encore au cours des prochaines années.
Peut-être que George Cope de Bell et Pierre Karl Péladeau (et son remplaçant Robert Dépatie) de Québecor devraient prendre une grande respiration et apprendre à vivre en concurrents intelligents. C’est dans leur intérêt, autant que dans celui des consommateurs.