UN ÉTERNEL RECOMMENCEMENT
UN ÉTERNEL RECOMMENCEMENT
Publié dans La Presse, le 14 janvier 2013 :
À la fin des années 60, quand Robert Charlebois a sorti sa fameuse chanson Lindberg, le refrain disait « Parti sur Quebecair, Transworld, Northeast, Eastern, Western, puis Pan American». Peu de gens réalisent que les lignes aériennes mentionnées, qui étaient parmi les plus populaires et les plus rentables à cette époque, sont toutes disparues aujourd’hui. Aucune d’elles n’a réussi à traverser l’épreuve du temps.
Et celles qui sont passées au travers, comme Air Canada, United, American et Delta, ont toutes été dans l’obligation de se restructurer pour éviter la faillite. Pourtant, tout cela est arrivé alors que l’industrie de l’aviation poursuivait sa croissance. Aujourd’hui, ce sont de nouveaux joueurs, dont WestJet et Porter au Canada, et JetBlue aux États-Unis, qui prennent le haut du pavé.
Lorsque je suis arrivé sur le marché du travail au début des années 60, les grands détaillants du temps au Québec s’appelaient Dupuis Frères, Eaton, Simpson, Pascal, Steinberg et Dominion. Aucun d’entre eux n’a réussi à traverser l’épreuve du temps. Ils ne sont plus que des souvenirs dans l’esprit des gens.
Pourtant, le commerce de détail a connu une croissance vertigineuse au cours des 50 dernières années. Aujourd’hui, le marché est en bonne partie contrôlé par les Walmart, Costco, Target, Rona, Metro et Sobey’s. Pensons simplement au fait qu’en 1975, Walmart n’existait même pas et qu’aujourd’hui, elle est la plus importante entreprise de la planète.
Que s’est-il donc passé pour que les succès d’hier deviennent des échecs lamentables? Ces entreprises, incluant leurs dirigeants et leurs employés, ne se sont tout simplement jamais remises en question. Elles ont continué à opérer comme si l’instant présent était éternel, comme si personne d’autre ne pouvait ou ne devait venir les mettre en échec. Elles ont oublié l’essentiel, à savoir qu’en affaires, tout est un éternel recommencement, que quelqu’un d’autre viendra un jour bousculer leurs valeurs et leurs acquis. Et ne pas s’adapter signifie devenir un dinosaure appelé à disparaître.
En fait, c’est presque toujours la même chose qui se passe. Une entreprise bâtit sur ce qui existe sans trop se questionner, tout simplement parce que ça va bien. Les syndicats font la même chose avec leurs demandes. Le modèle d’affaires a souvent été établi il y a plus de 50 ans et on a continuellement ajouté des paliers sans trop se questionner. Et puis, tout à coup, arrive un compétiteur qui remet tout en question en lançant une entreprise concurrente qui n’a pas les mêmes contraintes. Cette nouvelle entreprise a alors des coûts d’opération de beaucoup inférieurs tout en ayant une nouvelle vision.
Nous sommes tous réfractaires au changement. Pourtant, s’adapter et adapter nos façons de faire sont essentiels à la survie de toute entreprise. Cela s’applique évidemment à la direction et aux actionnaires, mais aussi aux employés. Ces derniers, dans leurs demandes, se doivent de considérer le marché et son évolution. Cela signifie qu’il vaut mieux parfois faire marche arrière que de tout perdre. Il est reconnu que les syndicats ont l’habitude de considérer ce qu’ils ont présentement comme des droits acquis qui deviennent, à chaque négociation, un plancher sous lequel il ne faut jamais descendre.
La solution réside à se remettre continuellement en question, à ne pas hésiter à changer nos façons de faire et notre façon de penser. C’est évidemment difficile, mais c’est mieux que de disparaître.