LA FRANCOPHONIE VIT HORS DU QUÉBEC
LA FRANCOPHONIE VIT HORS DU QUÉBEC
Publié dans La Presse, le 9 décembre 2014
Jusqu’à tout récemment, les francophones hors Québec ne m’avaient jamais interpellé. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres Québécois, la francophonie au Canada commençait et finissait au Québec.
Ma perception était à l’effet que, après quelques générations, les francophones des autres provinces étaient automatiquement assimilés par cette grande mer anglophone qui nous entoure. J’ai récemment changé ma vision des choses.
Le tout a commencé il y a un peu moins de deux ans lorsqu’on m’a demandé si je voulais aller au Salon du livre d’Edmundston. Ma première réaction avait été plutôt négative: qui va acheter une biographie francophone au Nouveau-Brunswick? Ce fut toute une révélation: j’y ai vendu plus de livres qu’au Salon du livre de Québec, qui avait eu lieu quelques semaines auparavant. Ces gens-là sont loin d’agir comme s’ils étaient des citoyens de deuxième classe. Ils prennent leur place.
J’ai récidivé l’été dernier en acceptant une invitation du maire Cyrille Simard, d’Edmundston, pour être le conférencier principal au Sommet économique organisé dans le cadre du Congrès mondial acadien. Encore là, une belle surprise m’attendait. Des politiciens municipaux, provinciaux et fédéraux y assistaient et la seule langue qui était de mise était le français. Les anglophones présents faisaient tous un effort pour s’exprimer dans la langue de Molière. Le soir venu, j’ai assisté au Bal en blanc dans cette ville de 16 000 habitants, et je n’y ai pas entendu un seul mot d’anglais parmi les quelque 850 convives présents.
Quelques mois plus tard, je récidivais à nouveau, cette fois en acceptant une invitation pour être conférencier au Salon du livre de la péninsule acadienne à Shippagan, près de Caraquet. C’était d’ailleurs ma première visite au coeur de l’Acadie. Là aussi, ce fut une surprise rafraîchissante. À un certain moment, j’ai même dû servir d’interprète à un acadien qui ne parlait pas un seul mot d’anglais. Ces gens-là travaillent et vivent en français sans complexe et sans crainte d’être assimilés.
Les «expatriés» de l’Alberta
Et, au début novembre, j’acceptais d’aller donner une autre conférence, cette fois à Edmonton en Alberta. Invité par le Conseil du développement économique de l’Alberta, je me suis dit que, cette fois, ce serait pas mal différent considérant que l’ouest du pays n’a pas la réputation d’être tendre envers les francophones et que cette province n’est pas voisine du Québec, mais plutôt à des milliers de kilomètres.
Les francophones que j’y ai rencontrés, un mélange de Franco-Albertains de souche, de francophones des Maritimes et, surtout, de Québécois qui s’appellent eux-mêmes les «expatriés», sont loin d’avoir des complexes. Ceux qui travaillent dans les sables bitumineux à Fort McMurray gagnent des salaires enviables, dépassant parfois les 120 000$ par année. Il est vrai que le coût de la vie est élevé, mais les impôts sont plus bas qu’au Québec et il n’y a pas de taxe de vente en Alberta. Quant aux entrepreneurs francophones, ils adorent cette province où faire de l’argent n’est pas vu comme un péché et où le gouvernement facilite tous les aspects de leur travail.
Certains d’entre eux étaient venus en Alberta pour quelques années seulement, le temps d’amasser de l’argent avant de retourner au Québec. Mais, la plupart du temps, ils y sont encore après 10 ou 15 ans et ne pensent plus revenir. Non pas qu’ils ne s’ennuient pas du Québec, leur «mère patrie», mais qu’ils adorent cette façon albertaine, plus nord-américaine, de voir et de faire les choses. Et ils soulignent qu’il y a maintenant 32 écoles francophones dans cette province et que ce nombre croît d’année en année.
Que ce soit au Nouveau-Brunswick ou en Alberta, j’y ai découvert une francophonie vibrante, sans complexe, et avec une approche plus ouverte envers le monde des affaires. J’avoue que le tout a été rafraîchissant et m’a fait oublier, le temps d’une rose, les querelles stériles auxquelles nos gouvernements québécois successifs nous ont habitués.