LA PRIVATISATION DE LA SAQ? NON MERCI!

LA PRIVATISATION DE LA SAQ? NON MERCI!

Chaque automne amène son rituel : les feuilles tombent, le hockey recommence, les oiseaux migrent vers le sud et….quelqu’un propose la privatisation de la SAQ. Les arguments se ressemblent toujours : la SAQ paie trop cher pour ses produits; la SAQ n’est pas performante lorsqu’on la compare à d’autres monopoles; l’Alberta qui a privatisé son réseau est l’exemple à suivre, etc. Toutefois, ces arguments ne passent pas toujours le test du consommateur et oublient certains points importants. Tout d’abord, il est important d’établir que la SAQ n’existe pas pour servir les producteurs, leurs agents promotionnels, les chroniqueurs de vin ou même le gouvernement. La SAQ existe pour servir les consommateurs du Québec. Et on oublie souvent qu’au Québec, il y a déjà un équilibre entre le public et le privé. Le privé vend un pourcentage élevé du total des produits alcoolisés, notamment la bière et une bonne partie du vin. Seuls les spiritueux, dont le taux d’alcool est très élevé et qui sont des produits très sensibles à la contrebande, sont vendus exclusivement par la SAQ. La plupart des autres provinces, mis à part l’Alberta, ont gardé un contrôle presque total sur tous les produits alcoolisés.

Mais reprenons les arguments servis en faveur de la privatisation en commençant par l’exemple de l’Alberta. Je ne sais pas si ceux qui en font la promotion ont déjà eu l’occasion de visiter des succursales dans cette province. Quant à moi, je l’ai fait à maintes reprises et je parle en connaissance de cause : jamais je n’ai vu en Alberta de magasins possédant l’assortiment qu’on trouve à la SAQ; jamais je n’ai vu un degré de service comparable à celui qu’on trouve à la SAQ; jamais je n’ai trouvé d’employés qui connaissent leurs produits et qui ont autant de fierté à travailler pour une entreprise que ceux de la SAQ. Et quand on dit que l’Alberta, avec un assortiment de quelques 12 000 produits différents, fait la barbe au Québec, qui n’en a guère plus de 7 000, on oublie l’essentiel, à savoir que les consommateurs n’achètent pas leurs produits dans les entrepôts. Les consommateurs achètent leurs produits alcoolisés dans les magasins et, à ce titre, une succursale type de la SAQ en tient pas mal plus qu’un magasin en Alberta.

Quant à l’argument selon lequel la SAQ paie plus cher pour certains de ses vins, il faut comprendre qu’une bouteille de vin, ce n’est pas une bouteille de ketchup pour laquelle vous négociez le prix le plus bas. En fait, vous pouvez acheter une bouteille de vin de Bordeaux à 10$ et une autre à 100$. Pourtant, les deux ont le même format de 750ml et les deux viennent de vignobles voisins. La différence de prix tient de facteurs subjectifs tels l’appellation, le goût et la perception qu’on a de ces vins. De ce fait, il appartient au producteur et non à la SAQ d’établir le prix de revente de son produit dans un territoire donné. Si un producteur avec un vin qui se vend 12$ croit que ce même produit serait mieux perçu s’il se vendait 15$, il augmentera alors son prix coûtant à la SAQ, obligeant cette dernière à augmenter son prix de revente en conséquence. Il se peut alors que le prix coûtant à la SAQ soit plus élevé que le prix coûtant pour le même produit dans une autre province car le marketing du producteur varie d’une province à l’autre. Mais c’est normal pour le producteur de viser un prix de détail aussi élevé que possible et pour en arriver là, la seule arme à sa disposition est l’augmentation du prix coûtant du même produit.

En ce qui concerne les comparaisons de performances, elles sont toutes faussées au départ par le mix de produits. Dans la plupart des provinces canadiennes, le mix est d’environ 75% spiritueux et 25% vins. Au Québec, c’est l’inverse : environ  75% vins et seulement 25% spiritueux. Et comme la marge de profit est supérieure sur les spiritueux qu’elle ne l’est sur les vins, il est normal que la profitabilité de la SAQ souffre lorsqu’on la compare à celle des autres provinces. Si le mix de produits de la SAQ était le même que celui des autres provinces, sa profitabilité augmenterait avec le même volume de ventes qu’elle a présentement.

Je passe sous silence l’argument voulant que les salaires seraient plus bas dans une SAQ privatisée. Serait-on rendu à vouloir Wal-Martiser la SAQ?  Ce n’est certes dans l’intérêt de personne. Alors ma conclusion est la suivante : le jour où le choix de produits disponibles en succursales et la qualité du service à la SAQ ne seront pas meilleurs qu’en Alberta et le jour où les consommateurs du Québec seront exaspérée de leur monopole, alors là vous pourrez me parler de privatisation de la SAQ et je serai des vôtres. Mais d’ici là, peux-on laisser le rituel de l’automne au hockey, aux feuilles et aux

Publié par Gaétan Frigon