LE SNOBISME N’EXISTE PLUS DANS LE COMMERCE DE DÉTAIL
LE SNOBISME N’EXISTE PLUS DANS LE COMMERCE DE DÉTAIL
Le commerce de détail change si rapidement que certains aspects nous échappent à court terme. Seule une rétrospective nous permet de réaliser l’importance que certains changements dans les habitudes d’achat ont sur le type de commerce que l’on fréquente.
Jusqu’au début des années 80, il existait une forme de snobisme face à certains types de magasins. D’une part, les gens plus à l’aise financièrement évitaient de se faire voir dans certains commerces considérés « à escompte » et, d’autre part, ils ne voulaient d’aucune façon que leurs voisins ou amis sachent qu’ils achetaient des produits à rabais. Cela faisait partie des mœurs et les détaillants axaient leur mise en marché en conséquence.
Tout cela a commencé à changer subtilement avec l’arrivée de certaines chaînes à grande surface comme Super Carnaval et Price Club. Je travaillais pour Metro Richelieu à l’époque et, selon mes habitudes, j’envoyais souvent des « inspecteurs » pour voir ce qui se passait dans ces magasins que les gens à l’aise n’avaient pas l’habitude de fréquenter.
Mon but consistait d’abord à connaître les prix, mais, par la suite, je voulais également savoir qui magasinait dans ces grandes surfaces. De plus en plus, on me confirmait avoir vu des gens connus ainsi que des Mercedes dans le stationnement. C’était un signal que les mœurs commençaient à changer. Mais, tout comme mes compétiteurs, je me disais que les gens y allaient probablement plus par curiosité que pour acheter. Quelle erreur! C’était le début de la fin du snobisme dans le commerce de détail.
Parallèlement à ce phénomène, un autre prenait de l’ampleur : les soldes dans les grands magasins et dans les boutiques spécialisées. Pendant des décennies, aucun commerce n’aurait osé liquider son stock du printemps avant une certaine date. Il en était de même pour le stock d’automne qui n’était jamais liquidé avant Noel. C’était la façon de faire. En agissant autrement, un commerçant se serait fait accuser d’utiliser des méthodes qui manquaient d’éthique.
Peu à peu, des soldes d’inventaire sont apparus en mars ou avril pour le stock du printemps et, péché impardonnable, la liquidation de produits automne/hiver commençait en plein mois de novembre ou de décembre, période pourtant propice pour vendre son stock au plein prix. Ce phénomène s’amplifiait d’année en année et touchait tous les types de commerce. Et les magasins qui vendaient des produits de luxe n’y échappaient pas. C’était qui commencerait le premier et qui aurait les plus gros rabais.
Cette tendance s’est vraiment confirmée dans mon esprit lorsque, au cours d’un voyage en Floride, j’aperçois en face d’un commerce en apparence bas de gamme deux limousines avec chauffeurs qui attendaient. J’entre dans le magasin pour me rendre compte qu’on y vend à rabais que des marques connues. Certains consommateurs évidemment aisés s’arrachaient sans gêne certains produits offerts en quantité limitée. C’était un spectacle en soi, les employés remplissant au fur et à mesure les présentoirs avec des produits différents.
Sans trop le savoir, je venais de voir mon premier « Factory outlet », un concept qui a fait fureur aux Etats-Unis et au Canada, même si certains centres commerciaux spécialisés dans ce domaine ont connu depuis des échecs retentissants. Ce concept s’est raffiné et connaît maintenant son apogée ici avec, notamment, la chaîne Winner’s qui connaît un succès inespéré.
On peut dire sans crainte de se tromper que la gêne ne fait plus partie du choix du commerce où on va magasiner. Au mois de décembre dernier, pour la première fois depuis longtemps, j’ai mis les pieds dans un Wall-Mart, pour voir de visu qui magasinait dans ce genre de commerce. Hé bien, j’y ai vu une foule de personnes que je connaissais et qui y magasinaient comme si de rien n’était. Quoiqu’on pense de cette entreprise avec ses politiques anti-syndicales et le chantage parfois éhonté qu’elle fait subir à de multiples fournisseurs, son succès auprès des consommateurs ne fait aucun doute. Quand le prix est au rendez-vous, on oublie trop facilement le reste.
Ce phénomène est maintenant tellement ancré dans nos mœurs qu’on est presque gêné de dire qu’on a acheté quelque chose au prix régulier. On pense qu’on s’est fait avoir et on ne veut surtout pas le dire. Les gens ne surveillent plus seulement les soldes mais savent que si un produit ne se vend pas rapidement, il y aura une première « coupure », suivie d’une deuxième et même d’une troisième. Ils savent quand retourner au magasin et ils ne sont pas gênés pour dire aux commis qu’ils n’achètent qu’à rabais.
Quand j’ai commencé dans le commerce de détail dans les années 60, la proximité et la qualité du service avaient autant d’importance sinon plus que les prix. Et certains magasins avaient leur clientèle attitrée. À titre d’exemple, les consommateurs à l’aise aimaient aller acheter leurs fruits et légumes chez Dionne sur la rue Ste-Catherine, mais ne voulaient pas se faire voir dans les marchés Union.
Aujourd’hui, tout cela a changé. Si le prix n’est pas au rendez-vous, le reste devient secondaire. Il n’y a vraiment plus de snobisme dans le commerce de détail et la fidélisation s’achète avec des points. En fait, s’il y a un snobisme aujourd’hui, c’est celui de payer moins cher et de ne pas avoir peur de le laisser savoir.