“TERRE DE NOS AIEUX“ VS “HOME OF THE BRAVE“

“TERRE DE NOS AIEUX“ VS “HOME OF THE BRAVE“

On apprend très jeunes à quel point c’est à la fois une bénédiction et une malédiction d’être voisins des américains. Bénédiction parce que c’est un grand frère qui nous protège et dont le marché est le plus important au monde ; malédiction parce que lorsqu’on est une souris, il n’est pas facile de coucher dans le même lit qu’un éléphant. En fait, on aime haïr les américains même si on sait très bien qu’il est de loin préférable de les avoir comme voisins plutôt que d’avoir les mexicains ou les russes. Cependant, si on peut parler amplement d’affaires avec eux, il y a d’autres sujets dont il ne faut jamais parler, notamment de politique et de religion.

Et j’avais toujours respecté ce principe jusqu’à il y a environ deux ans alors que Georges Bush se présentait pour un deuxième mandat. Lors d’un souper en Floride, j’ai osé discuter avec deux couples américains que je connaissais bien de l’erreur présumée qu’ils avaient fait quatre ans auparavant en élisant Bush à la présidence. Comme la plupart des québécois, j’étais convaincu que, cette fois, ils voteraient pour les démocrates et se débarrasseraient de ce phénomène qu’ils avaient élu. Quelle erreur de ma part! J’ai eu droit à un discours d’une heure sur le rôle des États-Unis comme arbitre du monde, sur la droiture de la guerre en Irak, sur l’inutilité des Nations Unies, sur le manque de moralité de Bill Clinton, sur le 9-11, etc.. Bref, j’ai su dès lors que Georges Bush serait réélu avec une majorité plus confortable que la première fois et qu’on devrait vivre avec cela.

On oublie à quel point l’histoire de nos deux pays est différente, à quel point notre cheminement est à l’opposé. Ça fait plus de deux cents ans qu’ils ont foutu les Britanniques à la porte alors que nous avons encore la reine d’Angleterre sur nos billets de banque et comme Chef d’État; ils ont réglé par une guerre civile le sort des États qui voulaient se séparer alors que nous y allons encore avec des référendums à répétition; leur constitution garantit le port d’armes offensives à tout citoyen alors que nos lois permettent à peine les couteaux de cuisine; ils ont une armée d’une puissance inégalée qu’ils n’hésitent pas à utiliser lorsque leurs intérêts sont en jeu alors que nous avons de la difficulté à avoir des hélicoptères qui peuvent voler. Même les paroles de nos hymnes nationaux sont aux antipodes : alors que le nôtre parle de la terre de nos aïeux avec des fleurons glorieux, le leur décrit une épopée militaire au ‘’land of the free and home of the brave’’. Tous les canadiens connaissent le nom du président des USA mais combien d’américains savent qui est notre premier ministre ou encore qu’on parle français au Québec?

Avec l’influence grandissante de la droite religieuse et conservatrice, il semble que le fossé qui nous sépare va en s’élargissant. Et il y a effectivement toute une différence entre les ‘’religieux’’ des deux côtés de la frontière. Chez nous, ils sont plutôt à gauche, près des pauvres, sans argent, contre les armes et ils ne crient pas fort. Chez eux, ils sont très à droite, alliés aux riches, eux-mêmes riches à craquer, pour les armes et ils crient fort. Et si vous voulez savoir lequel des deux l’emporte, vous n’avez qu’à passer devant deux églises un beau dimanche matin, l’une au Canada et l’autre aux USA. Vous savez comme moi laquelle est vide et laquelle est pleine. Mais qu’importe! Les États-Unis ont un marché de plus de 300 millions d’habitants qui permet à notre économie de croître année après année. Pourquoi alors, me direz-vous, ne pas commercer tout simplement avec les américains tout en restant bien tranquille chez-nous pour éviter d’avoir du trouble? Parce qu’ils ont la Floride, son soleil et sa chaleur. Pensez-y une minute : que serait l’Amérique du Nord aujourd’hui si Jacques Cartier était débarqué sur les côtes de la Floride plutôt qu’à Gaspé?

Mais même cette Floride change et se tourne de plus en plus vers la droite. À preuve, la loi que cet État vient de passer et qui permettra de tirer à vue sur une personne si on pense qu’elle pourrait nous menacer. Comment les juges vont-ils interpréter cette loi? Si un blanc tire sur un noir, il invoquera certes qu’il se sentait menacé, mais si un noir tire sur un blanc, le laissera t’on invoquer la même raison? Mais ne voulant pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, j’ai pris une résolution que je promet de respecter lorsque je serai en Floride : jamais plus je ne vais parler de Georges Bush, de politique, de religion, des Nations Unies, de mariages gais, d’homosexualité, d’avortement, d’armes à feu, de crimes, des démocrates, de systèmes de santé, de bois d’œuvre, d’ALENA, de hockey, d’Hilary Clinton, de Cuba, des palestiniens, de la France, du Venezuela, de l’Irak, de l’Iran, de la Corée du Nord, de La Nouvelle-Orléans, de Kyoto, de socialisme, d’égalité raciale ou de langues autres que l’anglais.

Je vais limiter mes conversations à l’argent (le leur), au capitalisme, au football, au baseball et aux affaires (les leurs). Ça va me permettre de continuer à aller en Floride par plaisir et par affaire sans me faire d’ennemis et sans me faire tirer dessus.

Publié par Gaétan Frigon